Betty, Tiffany McDaniel (Gallmeister, 2020)

Betty est un roman lance-pierre d’une puissance infinie.

Quatrième enfant d’une famille de huit frères et sœurs, Betty est la seule ayant hérité du teint mat de son père, un indien de la tribu Cherokee. Tiffany McDaniel raconte l’histoire de sa mère, « petite indienne » dans l’Amérique raciste des années 50 jusqu’aux années 70. Elle raconte aussi l’histoire d’une famille « maudite », dont les secrets sont bien trop lourds à porter pour une petite fille.

C’est un magnifique récit en poupées russes que nous livre Tiffany McDaniel dans ces 720 pages de poésie païenne. Articulé autour des secrets de familles et des mythes et légendes indiennes, il dépeint aussi le mode de vie des habitants d’une petite ville paumée au fin fond de l’Ohio. Nourrie par les légendes Cherokee transmises par son père, Betty va grandir en tentant de se réapproprier la culture décimée de son peuple. Très vite, elle comprend que la destruction de sa culture par le démon colonial blanc s’est aussi accompagnée de la domination masculine. Dans la culture Cherokee, l’église est la nature, la nature est femme, la femme est terre. Dans la civilisation chrétienne, la femme demeure à l’intérieur et aux fourneaux. Dans la culture cherokee, elle cultive la terre et en est maître. Betty écrit et réécrit tout ce patrimoine perdu dans ses carnets et apprend peu à peu à aimer sa couleur de terre. Elle enferme aussi les récits sur sa famille dans des bocaux qu’elle collectionne et enterre dans le jardin. Il y est notamment question de violences faites au femmes, de viol, d’inceste, de déni, d’une femme à la soumission aveugle et d’un homme sans âme, de racisme et d’homophobie. Bref, des ravages causés par l’archétype d’une Amérique blanche coloniale intolérante et démente.

Récit de réappropriation culturelle, récit initiatique, récit féministe, ode à la nature, hommage à ce père magnifique qui l’a portée de ses mains de jardinier calleuses et l’a protégée de la cruauté du monde. Voilà tout ce que renferme Betty. De ce récit magistral, on retiendra toute la laideur de la vérité mais aussi l’invitation à écouter la nature qui nous parle et, surtout, la beauté de l’affection paternelle. C’est magnifique d’aimer ses enfants à ce point, et d’aimer son père à ce point.

La plume de corbeau de Tiffany McDaniel vise droit comme une flèche de guerrière Cherokee. Ses mots sont des pierres lancées avec une force poétique qui soulève le coeur. Son écriture tonne comme un ciel en colère et vient peindre dans nos âmes une empreinte rouge et ocre indélébile. Ses phrases sont des balles de fusil qui réveillent la nuit. Sa langue est aussi sauvage qu’un vent puissant qui souffle la douleur de tout un peuple. Son histoire est celle d’une nature et d’une sagesse perdue que l’on pleure. Et il nous faudra beaucoup de larmes d’Apache pour que cessent nos pleurs d’hommes civilisés et dénaturés.

« Entre Flossie et Trustin, j’étais représentée avec une plume de corbeau. Quand j’ai demandé Papa pourquoi une plume de corbeau, il m’a répondu qu’il y a de cela bien longtemps, quand les arbres et les montagnes étaient encore dans leur prime jeunesse, d’énormes bêtes sauvages avaient parcouru la terre tandis que des hommes, assis autour d’un feu, racontaient des histoires.

– Les corbeaux, entendant ces belles histoires, savaient qu’il fallait les écrire pour les préserver. Et donc, chaque corbeau avait décidé d’arracher une de ses plumes. Ils avaient offert ces plumes aux conteurs. Mais une plume a besoin de son encre. Le sang d’un corbeau est aussi noir que le ciel de la nuit, aussi ces oiseaux sages s’étaient-ils mordu la langue et leur sang avait coulé jusqu’au bout des plumes des poètes et des écrivains. C’est le sacrifice des corbeaux qui a permis aux histoires de voler d’une génération à l’autre ».

« Un jour, il y a longtemps, les Apaches ont été pris au dépourvu par une attaque surprise de la cavalerie U.S. Les larmes des femmes apaches se sont transformées en pierre dans leurs mains. (…) On dit que ceux qui possèdent une larme d’Apache ne pleurent plus jamais parce que les femmes apaches pleureront pour eux ».

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10 réflexions sur “Betty, Tiffany McDaniel (Gallmeister, 2020)

  1. très belle chronique! j’ai beaucoup aimé ce roman, avec une tendresse particulière pour le père de Betty et son amour et son respect de la Nature
    merci pour le lien c’est gentil 🙂

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  2. C’est clair ça demande de bien égrener le net et c’est long mais c’est chouette de le faire.
    Quand j’ai le temps, je le fais et quand tu l’as fait je reprends ton boulot du coup 😉 Faut juste que j’y pense ! Bonne journée 🙂

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  3. Ah désolée ! Mais j’ai vraiment été touchée par tes mots 🙂 j’ai ouvert ta chronique sur Internet ce matin pour la citer dans la journée (je vais le faire de ce pas d’ailleurs), ce qui est assez laborieux et long, je compatis !
    Merci beaucoup de ton compliment et du lien et à très vite 😉

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  4. Ha Ha ! Mince je voulais pas que tu viennes ce matin parce que j’avais encore oublié de partager le lien vers ta chronique et ceux des copains blogueurs ! Je l’ai postée en speed hier soir et c’est qu’après que j’y ai pensé ! Faut m’excuser, je suis un petit dinosaure du web et j’ai pas tous les réflexes 😉
    Merci, tu en parles tellement bien aussi ! Il faut dire que c’est le livre qui est magnifique. Un vrai coup de coeur pour le coup 😉 A très vite 🙂

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