La Théorie de la tartine / Titiou Lecoq. – Vauvert (Gard) : Au Diable Vauvert, impr. 2015.

La-Théorie-de-la-tartine

Titiou Lecoq signe un très bon roman générationnel sur : Internet. Blogueuse, journaliste, diplômée en sémiologie, Titiou Lecoq déverse toute sa webculture avec la légèreté d’un clic; balaye d’un doigt nonchalant le portrait d’une génération, celle des Digital Natives pour qui l’écran est un troisième bras. Créatrice du blog http://www.girlsandgeeks.com/ , elle réussit le plus difficile : concilier analyse et légèreté, céder à la dictature du drôlefrais-léger tout en menant une réflexion documentée sur l’évolution du web.

1ère partie du bouquin : 2006, juste avant l’arrivée du smartphone et l’entrée dans l’ère merveilleuse du connecting people permanent. L’auteure nous plante 3 personnages qu’on n’aura jamais envie de quitter. Marianne, étudiante blogueuse qui planche sur Baudrillard et essaie d’appliquer les théories du spectacle / simulacre (= copies du réel) à la webculture. Elle a trompé son copain Gauthier (un nom de connard ça) lequel s’est vengé en diffusant une sextape sur le site youporn alors émergeant. Christophe, un journaliste qui pense que l’avenir du journalisme sera numérique ou ne sera pas et au nez duquel rit toute l’intelligentsia. Puis Paul, un post-ado hacker, autant dire un branle-couille, qui va essayer de sauver Marianne en saturant youporn et en pourrissant numériquement la vie de Gauthier (il l’a bien mérité ce connard). Les 3 compères communiquent via une chatroom privée pour mettre au point le plan de bataille et finiront par devenir amis IRL (= In Real Life). A l’époque, le web est encore considéré comme un espace libre et anonyme.

2è partie, 10 ans après. Bienvenue dans l’ère du profilage, du croisement de données perso, du totalitarisme numérique des  Big Data, des individualités soumises aux algorithmes du net. Le capitalisme a investi le web, a fait de nous des « profils » et cibles publicitaires alors que nous cliquons comme des crétins sur tout ce qui nous paraît frais, léger, drôle avec pour seule arme un second degré qui n’est autre que de l’impuissance (bordel de bite). Les commentaires de tout un chacun affluent sur la toile faisant du net le lieu d’une liberté d’expression sans liberté de penser. Entre l’utopie du village démocratique et l’exutoire du petit individu moderne bouffi d’égo vomissant ses idées mesquines, où se situent les potentialités du web ? Bref, c’est un peu le point du roman. Dans cette société transformée par Internet, on retrouve nos 3 amis IRL victimes de leur empreinte numérique. Paul a monté sa société offshore. Comme il est dégénéré et sociophobe, notre branle-couille ne peut pas se déplacer à plus de 500m de sa zone de confort. C’est Marianne qui ira chercher le fric à Bruxelles et touchera des parts ainsi que Christophe. Ils seront vite rattrapés par la théorie de la tartine qui veut qu’une tartine beurrée tombe toujours sur le côté beurré…

On navigue sur la prose de Titou Lecoq avec la facilité d’un tweet, on ouvre les fenêtres d’un monde de simulacres, les portails d’une zone de confort dans laquelle se vautre l’individu moderne forcé de modifier son rapport aux autres et au réel. A travers le parcours de 2 handicapés sociaux qui se branlent la nouille/chatte toute la journée derrière leurs écrans puis d’un journaliste victime d’infobésité, Titiou Lecoq nous fait comprendre qu’ « Internet c’est juste des codes informatiques qui ont failli améliorer le monde » (mais pas que). #Bordel de bite.

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